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Entretien avec Nicolas Dufourcq : la France à l’heure de choix décisifs entre IA, dette et renaissance française

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Entretien avec Nicolas Dufourcq : la France à l’heure de choix décisifs entre IA, dette et renaissance française

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L'économie française se trouve à un carrefour historique, où la course à l'innovation technologique se heurte à l'impératif de la responsabilité budgétaire. Face à la pression mondiale et au poids des engagements sociaux, Nicolas Dufourcq (DG de Bpifrance et auteur du livre “La Dette sociale de la France: 1974 - 2024”, Editions Odile Jacob, 2025) appelle à une offensive stratégique et à une lucidité nationale, car l'heure n'est plus aux ajustements, mais à la rupture.

Premier constat : les entreprises françaises sont prises en étau entre deux pressions externes monumentales. D'un côté, le secteur industriel est confronté à une concurrence exacerbée, qualifiée de « deuxième gigantesque vague chinoise » qui submerge l'Europe depuis la fin de l'année dernière. Il ne s'agit pas d'une simple difficulté conjoncturelle, mais d'un défi existentiel qui exige une transformation structurelle des outils de production. De l'autre, le monde du logiciel et du numérique doit intégrer l'Intelligence Artificielle. Nicolas Dufourcq insiste : « c'est une rupture définitive. Il faut avoir conscience de ça. » L'IA est plus qu'une technologie, c'est une nouvelle grammaire de l'entreprise dont toutes les structures doivent adopter les « vertus ». L'adaptation est une question de survie et de croissance : « Il faut absolument que vous sachiez prompter, que vos collaborateurs sachent prompter et que vous ayez le réflexe de changer vos plans stratégiques. »Face à ces menaces, la réponse se trouve dans l'accélération de l'innovation, de la science et de la DeepTech. Ces technologies sont le moteur d'une transformation profonde qui transcende les secteurs traditionnels (industrie transformée par l'IA, agroalimentaire, biotechs). Le dynamisme est palpable : « Au premier semestre 2025, nous avons ouvert 15 % de plus de nouvelles usines DeepTech qu'au premier semestre 24. » Ces ouvertures de sites « salle blanche » sont la preuve qu'une nouvelle économie productive, basée sur la haute technologie, est en train de se substituer aux modèles obsolètes. 

Un poids de la dette française qui contrarie nos ambitions

En parallèle de cette offensive technologique, la France doit affronter ses propres incertitudes, notamment les incertitudes politiques qui « tapent un peu le moral des gens » et, surtout, le grand défi démographique lié au vieillissement. Ces facteurs soulèvent une question existentielle : le financement de l'État-providence. Le niveau de générosité français est légitime, mais il ne l'est que « s'il n'est pas financé par la dette. Or, il l'est. » La dette publique est devenue une menace concrète en raison de son volume colossal. M. Dufourcq illustre le danger de manière saisissante :« Un point seulement de nos taux d'intérêt, [cela] coûte 37 milliards d'euros. C'est plus de deux fois le budget de la justice. »Cette dépendance rend l'économie vulnérable à la « mort subite » en cas de crise de confiance des marchés. « Plus la dette monte plus le pistolet qui est branché sur votre corps est d'un calibre important. » Pour donner de l'air à l'économie, la seule solution est l'adaptation de notre générosité à nos moyens. Il est indispensable de se mettre autour de la table pour aborder les deux principaux postes de dépenses sociales qui ont explosé depuis 2020 (plus 120 milliards d'euros par an) : les retraites et la santé. La réforme des retraites, en particulier, est un impératif continental. « Le point GPS de l'évolution du système français de retraite c'est le point GPS de l'Europe, » avec des départs effectifs tendant vers 65 ans. Cette réforme est « indispensable pour retrouver des marges de manœuvre » et financer les missions régaliennes comme le réarmement et la décarbonation. 

L'Entrepreneur : artisan de la richesse et pédagogue du contrat social

Le rôle de l'entrepreneur est donc double. Il doit d'abord accomplir sa mission première : « créer de la richesse » par l'action et l'énergie vitale. C'est la base du contrat social, car « vous pouvez pas avoir un état providence. Si les adultes d'un pays n'ont pas compris qu'ils doivent être au maximum de leur potentiel vital. » Mais au-delà de la production, les entrepreneurs doivent endosser une mission civique essentielle : la pédagogie économique. Le travail est « considérable » auprès des « 50 % des Français adultes qui ne sont pas dans le monde du travail ». Cette tâche ne peut être déléguée aux seuls politiques ou à la presse. Les entrepreneurs sont au cœur de la machine économique, car « c'est eux qui payent les cotisations, qui payent la TVA, c'est eux qui collectent à peu près tous les impôts qui comptent pour financer la sécurité sociale. » Ils savent mieux que quiconque comment s'articule l'équilibre entre la France, République sociale (la plus généreuse d'Europe), et pays capitaliste. Ils ont la responsabilité d'expliquer ce mécanisme pour renforcer la compréhension et le consentement au modèle social. « Ils sont au cœur de la machine, il faut qu'ils l'expliquent. »